Interview Jason Castriota : dernière partie (en français)

Après la 1ère et la 2ème partie présentées par Nabu ici, je vous rapporte aujourd'hui la traduction en français de la 3ème et dernière partie de l'interview de Jason Castriota réalisée par Swade (Saabsunited). Elle m'a semblé un bon résumé de tout ce dont nous avons déjà évoqué sur l'avenir de Saab et son organisation, mais avec, quelques discrètes révélations. Voici donc l'intégralité de la partie III traduite rien que pour vous!



Lors de mon dernier voyage à Trollhattan, j’étais avec Knut Simonsson
et nous avons regardé le calendrier des salons de l’automobile jusqu’en 2017

 
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Jason Castriota est le directeur du Département Design chez Saab. Dans la 1^ère partie de cette série d’interview, on a évoqué son recrutement et survolé les aspects de la future 9-3. Dans la 2^ème partie, on s’est concentré d’avantage sur la future 9-3, les attentes sur le design Saab et le nouveau concept car qui fera son apparition au Salon de Genève en 2011.
C’est donc la troisième et dernière partie de cet entretien réalisé au téléphone en septembre et en octobre 2011. Mes remerciements encore une fois à Jason Castriota pour le temps passé à dialoguer avec moi et pour ce partage au profit de la vaste communauté des passionnés de Saab.

Steven W. (Swade)

Swade: La charge de travail est très lourde en ce moment, avec ce concept car (qui sera dévoilé au salon de Genève 2011) en amont de la remplaçante de la 9-3. Comment fonctionne l’équipe du Design Saab au quotidien? Et d’ailleurs quelle est la taille de l’équipe? Vous êtes à New York en ce moment, alors comment ça fonctionne tout ça?

Jason Castriota, Consultant Design,
à la tête du Design Saab depuis juin 2010

Jason Castriota: Et bien, je fais constamment des allers-retours. Mon mois se découpe autour des 10-15 jours à Trollhattan. Il y a une semaine de communication et une semaine à New York : c’est un va-et-vient permanent.

L’équipe avec qui je travaille est absolument époustouflante. Nous sommes à peu près 35 personnes dans notre équipe et il y a 7 designers au total incluant mes propres employés. Ensuite on a 15 ingénieurs en modélisation informatique, une poignée pour la réalisation physique et technique et une autre enfin pour la direction de projets. Donc 30-35 personnes au total. C’est une très petite équipe, parce que c’est la meilleure façon d’avoir une vision claire des choses et tout est question de synergie entre les collaborateurs et la direction.

Nous avons depuis mi-octobre deux organisations spécifiques pour la future 9-3: l’un pour l’extérieur, l’autre pour l’intérieur. On a conçu un thème intérieur unique puis, avec toutes les variations de styles de la carrosserie, il y a de nombreuses variations à cause des panneaux de porte arrière ou bien en raison de l’absence de porte arrière [un coupé serait donc déjà dans les tuyaux, ce qui laisse présager une ligne vraiment « Saab hockeystick »… NDLR], etc. En parallèle, on travaille à la réalisation extérieure-intérieure du concept car.

SW: Vous faites partie de l’équipe dirigeante maintenant et vous fournissez un gros travail de communication etc. Je sais que vous avez un vraie passion pour les marques et avez à cœur de faire coller votre travail avec l’esprit d’une marque. Allez-vous jouer un rôle dans la quête d’identité du Design Saab pour les prochaines années?



Simon Padian,
rentré chez Saab à 18 ans...
Responsable Design Saab de 1999 à 2010,
collabore désormais avec J. Castriota

JC: Oui, c’est certain. Je travaille main dans la main avec Knut Simonsson, le Directeur du Marketing Saab. Simon (Padian) et un autre gars, Matthias, travaillent avec moi au studio et m’aide pour garder le fil conducteur en termes de marché et d’identité. Nous devons être sûrs que le message du renouveau Saab passe.

 

D’ailleurs le nouveau concept car lui-même apportera un nouveau message sur la marque Saab et marquera une nouvelle ère d’indépendance pour Saab. C’est passionnant de pouvoir apporter quelque chose qui va définir les contours de la marque pour les 15 prochaines années à peu près. Précisément avec ce concept, nous ne pensons pas à 2012 : nous nous projetons vraiment dans une vision de long terme pour Saab.

SW: Est-ce que lisez mes notes là? C’est étrange, parce que la prochaine question que j’ai écrite était : « au-delà de la remplaçante de la 9-3… »

JC: Cela sera renversant. Lors de mon dernier voyage à Trollhattan, j’étais assis avec Knut et nous avons regardé le calendrier des salons de l’automobiles jusqu’en 2017 et nous avons tout planifié pour chaque évènement jusque là. Quel modèle sera présenté, les différents styles, la nouvelle technologie – parce que l’ingénierie est grandement impliquée dans tout cela aussi.

C’est un bon indicateur en ce qui concerne le fonctionnement d’une Compagnie. Il ne s’agit pas seulement de planifier les quelques prochaines années. Il s’agit de planifier toute la prochaine générale de véhicules : nous nous projetons à 6 ou 7 ans, à partir de là où nous sommes.

SW: Parlons donc du salon de Genève de … 2016 alors ……Qu’est-ce qu’on va voir?



Knut Simonsson,
Directeur des Ventes et du Marketing Saab

JC: (rires)

SW: Knut n’a pas Internet : il n’aura pas un mot de tout ce dont nous parlons, vous pouvez y aller! (C’est une blague de ma part – explique Swade : Knut est très branché en fait)



JC: C’est important de vous donner des prémisses mais vous n’avez pas besoin d’en savoir plus!

SW: Dommage! Mais vous avez mentionné, dans plusieurs interviews que j’ai lues, le fait que vous n’avez pas à vous faire prier pour leur parler de la Sonett. Est-ce que c’est quelque chose de réaliste sur la table ?

JC: Il y a bien sûr des discussions sur ce type de produits. Mais comme je l’ai déjà dit avec vous, nous avons d’abord besoin de prendre soin de notre base. Nous avons vraiment besoin de réaliser notre coeur de cible et de nous assurer que ce soit un succès. Tous nos œufs doivent être mis pour l’heure exclusivement dans ce panier.

Cela ne veut pas dire que nous ne songeons pas à réaliser une voiture comme la Sonett ou quelque chose dans le genre – tous les problèmes comme le choix de la plateforme etc. nous en parlons et bien même. Chacun au comité de direction travaille dur pour savoir où nous allons et pour répondre à la question : « quel est le meilleur chemin pour y arriver ? »

Il y a quantités de scénarios possibles, comme, par exemple, si nous développions la plateforme une telle, alors elle serait adaptable à plusieurs types de véhicule. Si nous développons un partenariat avec untel, alors nous pourrions avoir une plateforme différente en pensant à tout ce qui pourrait être fait sur le design des passages de roues etc.

C’est un effort constant, permanent et combiné que l’équipe doit faire. Ce n’est plus la vieille école où la technique est une chose et le design une autre chose, l’étude de marché encore autre chose… et où chacun peut être préoccupé à marquer de son empreinte personnelle les futurs modèles. Il s’agit vraiment au contraire de se mettre dans la même pièce et de se dire : “Ok, que pouvons-nous faire et que voulons-nous faire? » Mon expérience vient du fait d’avoir pu travailler avec différentes marques et consultants. Quand vous avez eu ce parcours, vous voyez au premier coup d’oeil les différents rouages de la Compagnie. C’est toujours intéressant de voir les hiérarchies et les îlots de pouvoirs que se construisent les gens.

Ce qui est fascinant quand on travaille pour une si petite compagnie, avec des gens si dévoués, c’est de constater que nous nous trouvons sur le même plan. Cela rend les choses vraiment plus simples. Cela devient une simple affaire de « quel délai et combien ça coûte ? » Il n’y a pas de discussions sur les objectifs de Saab. Nous savons tous où Saab doit aller. C’est juste une affaire de réalisation et lorsque vous êtes entourés de gens vraiment compétents, la réalisation est généralement le cadet de vos soucis..

Il y a donc une ambiance très enthousiasmante ici.  Beaucoup d’excitations à l’intérieur de la Compagnie en ce moment, ce qui contraste remarquablement par rapport à ce que les choses étaient il y a quelques années ou il y a à peine un an à l’époque où j’ai rejoins la compagnie.  Même à cette époque, il y a avait encore un climat d’incertitudes parce que les gens étaient encore bouleversés par les montagnes russes entre la reconstruction possible ou l’échec de la vente de Saab…

Cela a pris un bout de temps pour dépoussiérer tout ça et cela a été un changement extrême, laissant la bureaucratie d’une maison mère immense et prenant les idées de nouvelles têtes avec une nouvelle organisation au sommet. Nous avons dû nous défaire de pas mal de choses jusque dans les entrailles de la Compagnie puis de nouveau, car c’est l’un des facteurs qui fait que cette Compagnie puisse survivre – être aussi mince et efficace que possible, ayant avec soi le personnel le plus compétent et trouvant les meilleurs partenaires. C’est vraiment une chance d’être là [à Trollhattan] avec eux.

SW: Je comprends. C’est un lieu  que j’ai toujours adoré visiter même dans la tourmente. Je pense que j’étais là juste après vous, en juin, et encore en juillet et l’excitation était palpable. Ils portaient tous leurs « Saab des jours heureux » parce qu’ils présentaient une nouvelle voiture, mais le soulagement et l’excitation étaient palpables.

Vous avez dîné la semaine dernière (en Octobre 2010) avec des journalistes suédois. Qu’est-ce qu’on peut en retenir ?

JC: Tous sont intéressés par la même chose, à savoir la nouvelle Saab 9-3 et les différentes versions que nous pourrions avoir avec elle. Et ils mettent toujours la pression sur le potentiel d’une petite Saab. Ces sujets délient toujours les langues. Comme l’a dit Victor Muller, ce n’est pas aujourd’hui dans notre business plan, mais c’est quelque chose au-dessus de la pile des priorités.

Je ne vais pas dire que nous n’avons pas d’idées sur cette petite Saab : bien sûr que nous en avons! Comme dit, nous pensons déjà aux modèles des  5 à 7 années à venir. Clairement, nous aimerions voir cette voiture venir sur le marché plus tôt que cela. Il y a encore des décisions importantes à prendre en interne sur la nouvelle plateforme que nous développons pour en connaître les utilisations futures (en termes de modèles développés à partir d’elles). Avoir une plateforme modulable peut vous donner une certaine étendue de type de voitures de telle à telle taille. Nous devons déterminer ces possibilités et si oui ou non elles sont adaptables pour une petite voiture ou si nous devons avancer vers un partenariat. Il y a des petites voitures là dehors sur lesquelles nous pourrions nous greffer. Mais encore une fois, des décisions doivent être prises et beaucoup dépendent du succès de la prochaine 9-3.

SW: J’ai écrit d’ailleurs un article récemment sur le sujet, cette voiture de petite taille, et le fait que Victor Muller, quand il en parle, semble un peu plus prudent ces derniers mois en comparaison avec les 6 mois précédents.

JC: Oui et c’est normal. Victor est bouillonnant et enthousiaste, comme c’est son rôle. Mais c’est une affaire que de répondre à la question : « Sur quoi devons-nous nous concentrer maintenant ? » Donc, autant nous voulons cette voiture pour demain, ou même hier, autant il nous faut nous en rapprocher de la meilleure manière.

Nous avons une de grands projets pour Saab et pour cette raison, l’accent aujourd’hui doit être mis sur la promotion de la nouvelle 9-5, faisant comprendre que Saab est vivant et bien portant et développe la prochaine 9-3.

Ce sont des éléments clefs. La 9-5 et le 9-4X doivent vraiment produire des résultats dans les 18 prochains mois pour nous permettre de nous rapprocher aussi proche que possible de nos prévisions. Notre cheval de bataille actuellement est les Etats-Unis. Il nous faut vraiment nous mobiliser, faire passer le message que Saab est là. C’est difficile parce que les Etats-Unis n’ont pas eu de voitures Saab importées pendant une longue période et nous faisons toujours face à ce front de scepticisme pour le moment.

J’accours toujours vers les gens que je connais qui me disent qu’ils viennent de réaliser que Saab existe encore à cause de mes fonctions. Les Etats-Unis sont, qu’on le veuille ou non, le premier marché du segment Premium au monde. Si vous êtes dans ce segment et que vous ne vendez pas de voitures ici, vous allez avoir des soucis.

Bref, c’est un aspect que nous avons vraiment besoin de travailler par rapport à la communication. La 9-5 vient à peine d’arriver ici (cette partie de l’interview était alors en septembre) et elle a été reçue exceptionnellement bien, ce qui est réjouissant. Dans ce sens, on ne pouvait pas mieux rêver, mais nous continuons à nous battre contre des préjugés au sujet de Saab concernant sa santé financière ou sa stabilité.  

Mais on y arrivera. Le stand Saab au Salon de Los Angeles donnera le change en termes de modèles présentés.

SW: J’ai hâte de voir le 9-4X [l’interview était avant le LA Autoshow et la présentation du 9-4X]

JC: C’est une supère voiture. Dommage au passage qu’il n’y ait pas de diesel mais c’est quelque chose qui est réfléchi pour le futur de cette voiture. Evidemment, ce segment est important pour l’image statutaire de Saab. Avoir cette catégorie de voiture à part entière que nous pourrons faire mûrir avec les acheteurs est une chose importante. C’est pourquoi avoir une petite voiture est important aussi – pour faire venir une nouvelle génération de conducteurs dans la famille Saab, qui passeront ensuite à la 9-3 ou 9-4X et puis, plus âgés et étant arrivés, achetant la 9-5. C’est une gamme et une façon de penser qu’ont adopté BMW, AUDI et MERCEDES : une gamme de A à Z. Ils ont tant de modèles : c’est incroyable.

Saab n’a pas besoin de faire autant et ce n’est pas dans son agenda. Avoir une 9-3 familiale, le 9-4x et la 9-5 et puis une petite voiture à la taille bien pensée et Saab aura une gamme complète de produits.  

SW: Une question non écrite… Vous avez parlé de l’importance du marché américain. Je me demande comment cela se joue dans votre esprit de designer. Avez-vous à prendre en compte les goûts d’un marché spécifique pour la recherche en design d’une voiture?

JC: Il s’agit moins d’objectifs de formes que sur le fond. Le marché américain, pour ceux qui ne le connaissent pas, ce sont des voitures qui sont vendues plus souvent que l’inverse avec un niveau d’équipement Premium. Vous ne trouverez pas une BMW, une AUDI ou une MERCEDES sans le cuir, la sono HI-FI, la navigation, des grosses jantes, etc. Ce n’est pas comme en Europe où vous pouvez acheter une BMW dépourvus d’options et avec des sièges en velours, des jantes 16 pouces, sans gps ni super système audio.  Ce “truc-là” n’existe tout simplement pas ici. Les clients américains peuvent vraiment avoir des voitures pour leur argent ici et ceci à cause du volume des ventes.

Quand l’acheteur américain achète Premium, ils achètent en général européen, donc, en ce sens, ils n’ont pas de goût particulièrement américain. Il s’agit d’avoir de ce qu’il y a à l’intérieur. Ils veulent du cuir Premium, plus de puissance, plus d’équipement pour le prix payé et ce sont ce à quoi nous devons veiller pour être sûrs que Saab ait des racines bien implantées ici.

SW: OK. Je demandais cela parce que beaucoup de gens, moi inclus, pointent du doigt la disparition du hayon pendant l’ère GM à partir de 2000 et l’importance de la berline sur le marché américain.

JC: Il y a quelque chose de vrai dans cette affirmation sur la popularité de la berline américaine ici. Généralement les hayons ne se sont pas vendus si bien que ça aux Etats-Unis. Mais c’est une partie de l’erreur qu’a faite Saab. Saab n’a jamais été Opel, ils n’ont jamais vendu 2 millions de voitures par an. Saab a toujours été une niche, un produit alternatif et le restera. On ne s’approchera jamais des volumes d’AUDI, BMW, et ce n’est pas notre objectif.

Alors la disparition du hayon... Je ne sais pas exactement, parce que je n’étais pas là quand ça s’est fait, mais j’imagine que GM ne voulait pas faire plus d’investissements pour ce hayon, car cela aurait généré beaucoup plus d’ingénierie. C’est un fait que c’est plus coûteux à concevoir et pose une quantité de problèmes, donc je pense que c’était une question de coût à la base par rapport au retour sur investissement pour eux, et moins une question d’identité.

J’ai posé d’ailleurs cette question sur la 9-5 quand je suis arrivé – est-ce que le hayon a été envisagé? Chez Saab, on avait espéré, mais l’idée avait été abandonnée précisément pour cette raison.

Source : SAABSUNITED.COM